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Flavie Flament, sa confession
Le 27 septembre 2007
Je suis au restaurant et j’attends une blonde. Une star de TF1, une de ces animatrices qui, dès qu’elles pointent leur minois sur les plateaux de la télé la plus popu de l’hexagone, font exploser l’Audimat : Flavie Flament. Et pour une raison qui n’a rien à voir avec la télé, un virage médiatique à 180% : après s’être fait remarquer dans une certaine presse pour sa romance, puis sa rupture avec Benjamin Castaldi, elle a décidé de faire l’actrice. Dans « Les Monologues du Vagin », rien que çà. Et au Théâtre Michel, s’il vous plaît, la scène qui, dans les années 20, révéla le fabuleux talent d’Elvire Popesco. Dans le CV de Flavie Flament, pourtant, pas la première mention d’un quelconque passage dans un cours de théâtre. Et dans la presse, guère de déclarations qui puissent laisser penser qu’elle soit autre chose qu’une proie pour paparazzi en mal de scandales réels ou fabriqués. Et comme elle se fait attendre pour cause de répétitions, je gamberge : quelle mouche l’a piquée ? Et comment une fille formatée par une télé pas vraiment intello peut-elle s’accommoder de la rude discipline du théâtre : rendez-vous quotidien avec le public, coulisses poussiéreuses et critiques professionnels en embuscade au fond de la salle…Je l’imagine donc faisant son entrée dans le restaurant comme tant d’autres blondes du PAF, les yeux dissimulés sous des maxi-lunettes noires, puis commandant au maître d’hôtel deux feuilles de salade et de l’eau minérale Source Tristoune, histoire de se fabriquer une silhouette d’enfer pour le soir de la première. Et j’en suis là de ma gamberge quand je vois se poster devant ma table, au lieu de ma Flavie Flament imaginée, une fille normale comme ça n’est pas croyable. Jean basique façon rayon de supermarché, corsage joli mais sans plus, décolleté nature, bouche à l’avenant, pas le premier indice d’un retapage au bistouri-gonflette. Quant aux lunettes noires, je repasserai. Visage nu, yeux francs, rien de la nana-qui-se-la-joue-qui-se-la- pète. Et le pompon : elle est morte de faim. Elle craque donc pour deux solides œufs bien frais et un poisson assorti d’une bonne petite potée de haricots cocos… Le tout arrosé — ouf ! — d’une coupe de champagne. Qu’elle commande dans un bel éclat de rire. Et en se contrefichant comme de l’an 40 de l’étoile de rides qui se dessine alors sous les petites mèches qui lui titillent les cils. Voilà qui me soulage, et autorise l’attaque frontale : « Pourquoi le théâtre et pourquoi cette pièce-là ? Vous cherchez les ennuis?» Et là, deuxième surprise : si Flavie Flament, de l’extérieur, ressemble à n’importe quelle jolie trentenaire qu’on peut croiser dans la rue, à l’intérieur, en revanche, elle n’est pas vraiment pas modèle standard. Une de ces pêches, un de ces aplombs! Dans la seconde, sa réplique fuse : « Parce que ce que je préfère, dans la vie, c’est courir où personne ne m’attend ! » Elle jubile. Cependant, pro jusqu’au bout des ongles, elle retrouve très vite son sérieux : « Seulement, n’allez pas croire, c’est un vrai boulot, le théâtre ! Crevant ! Mais je l’ai voulu. Et si je me lance là-dedans, c’est que c’est tellement en phase avec la vision que je me fais désormais de la vie… » Grave, d’un seul coup, la blonde. Mais pas encore prête à se prêter au jeu des confidences, au récit du jour où, sans préavis, elle a quitté son Benjamin avec ses deux mouflets sous le bras. Pour l’instant, elle préfère s’épancher sur le bonheur de monter sur les planches : « Chaque matin, quand je pars répéter, je me sens dans la peau d’une petite fille qui s’en va à l’école. Je veux apprendre, réussir, progresser, avoir une bonne note. Et quand je rentre à la maison, dès que j’ai un moment à moi, je recommence à répéter mon texte. Entre les repas que je prépare pour mes enfants, les devoirs du plus grand, les questions du petit…Et dans mon bain, ma chambre, ma cuisine, partout… D’un côté c’est l’enfer, parce que le théâtre exige tellement d’humilité. Et de l’autre, çà me donne un fabuleux sentiment d’épanouissement. Monter sur les planches, c’est une liberté que je m’offre et je la savoure d’autant plus que je n’ai pas eu à frapper aux portes. C’est mon agent , il y a quelques mois, qui a senti que j’étais mûre pour cette aventure. C’est aussi lui qui m’a proposé la pièce d’Eve Hensler. Le plus incroyable, c’est qu’avant même d’avoir joué en public, j’ai déjà une autre proposition : Michel Blanc veut me mettre en scène dans « Beignets de tomates vertes ».
A la trappe, alors, ses émissions sur TF1 et la boîte de production qu’elle dirige, toute sa petite entreprise qui n’a jamais connu la crise ? Comme tout-à-l’heure, réplique du tac au tac: « Mais non, je garde tout ! Le théâtre, c’est une petite route de campagne qui va me ramener encore plus sûrement sur l’autoroute de la télé ! »
Et de se précipiter sur les haricots cocos. En un rien de temps, elle a tout englouti. J’en profite pour remonter au créneau : « Tout de même, les Monologues du Vagin », ce n’est pas tellement raccord avec la culture TF1… » Une petite volée de mèches, et une nouvelle réplique qui fuse : « Je ne sais pas si c’est raccord, mais en tout cas la pièce me ressemble ! » Mazette, elle n’a vraiment pas froid aux yeux. J’insiste donc : « Mais le sujet de la pièce… Toutes ces histoires de sexe…Vous qui vous plaignez que les paparazzi soient accrochés à vos baskets…Vous les provoquez ! Et les critiques, ils ne vous font pas peur ? » Pas facile à coincer, la Flavie : elle me dévide aussi sec un argumentaire béton — pas étonnant qu’à seize ans, elle ait été première en français : « Pour commencer, les critiques ne pourront pas me blesser davantage que les paparazzi ne l’ont fait. Longtemps que je suis blindée, c’est indispensable quand on est un personnage public. J’ai pris pour règle de m’interdire de penser à ce qu’on raconte de moi, sinon je n’entreprendrais plus rien. Et de toute façon, au théâtre, le plus important, c’est la rencontre entre l’acteur et son texte. Si on joue « Les monologues du vagin » dans le monde entier avec partout le même succès, c’est que cette pièce parle avec une justesse extraordinaire de l’amour et de la féminité. Les premiers émois amoureux, mais aussi la douleur de la femme violée, le rire et les larmes, la joie, la cruauté, la dureté. Or çà , en ce moment, c’est le seul sujet qui m’intéresse. Plus je le répète ce texte, plus j’en apprends sur la féminité et la sexualité. Donc sur moi. »
Et d’enchaîner sans le moindre complexe sur les récents remous de sa vie privée: « En tant que femme, je n’ai jamais eu à subir d’affront. Mais je viens de comprendre qu’en amour, je fonctionne à la confiance, aux petits moments de bonheur que je me fabrique. Le cocon familial,le cocon amoureux. Le premier, je suis très fière d’avoir réussi à le préserver lors de ma rupture avec Benjamin. Mes fils continuent à voir les siens, ce qui a limité la casse. Quant au cocon amoureux… »
Petite pause. Et, comme s’il fallait à tout prix reprendre souffle avant d’aller plus loin, elle hèle la patronne du restaurant : « Je sais que ce n’est pas bien, mais vous n’auriez pas un petit coin tranquille pour… » Elle sort timidement de son sac un paquet de cigarettes. Et poursuit : « Et je me prendrais bien aussi un petit verre de blanc… » Le joli sourire emporte l’affaire sur-le-champ, on émigre sur une terrasse où, entre deux clopes et deux goulées de blanc sec, la déroutante Flavie reprend le cours de son récit. « Je me croyais heureuse avec Benjamin. En fait, intérieurement, je hurlais. Pourquoi je vivais comme ça ? Je n’en sais rien, il me faudra sans doute des années pour y voir clair. En tout cas, la vie que Benjamin me proposait, tout ce luxe, n’avoir qu’à lever le petit doigt pour être servie, ce n’était pas du tout moi. Loin de moi l’idée de l’accuser, je respecte sa personne comme sa conception de la vie et de l’ambition, et je m’estime responsable de mon existence à 100%. Mais j’ai vu le moment où j’allais perdre le contact avec la vraie vie. Et ma décision de rompre m’est tombée dessus comme un oiseau de proie. D’une minute à l’autre, pas même d’incident déclencheur, rien que cette pensée : « Je quitte Benjamin, plus moyen de continuer la route ensemble, je n’en peux plus, je pars ». Je crois d’ailleurs que c’est un comportement typiquement féminin. Face aux hommes, les femmes sont souvent dans une abnégation, un masochisme presque suicidaire. Elles vivent dans l’espoir que ce qui ne va pas chez leur homme va s’arrêter. Mais non, ça ne s’arrête pas ! Et puis un jour, brusquement, elles n’en peuvent plus, elles partent. Vous voyez maintenant le rapport avec la pièce que je vais jouer? »
Persuasive, Flavie Flament. Et lorsque je lui oppose: « Le pire ennemi de votre couple, c’était peut-être aussi la télé…», têtue. Sa bouche dessine la moue de la fille qui, depuis le début, a toujours su ce qu’elle veut: « Non! La vérité, c’est que, si on veut être heureux dans le milieu de la télé, il faut impérativement distinguer le personnage qu’on est sur le petit écran, et la personne qu’on est dans la vie réelle. La notoriété est un phénomène délétère. Elle vous conduit, non seulement à mépriser les autres, mais à vous mépriser vous-même. Quand vous commencez à vous la jouer Garbo et à planifier votre existence comme un film de Hollywood, vous êtes fichu en tant qu’être humain. Le succès à la télé est éphémère. Dans 25 ans, qui se souviendra des animateurs télé de 2007? »
Et elle revient à son petit verre de blanc. Seconde pause-silence : elle n’ira pas plus loin : le règlement de comptes n’est pas à l’ordre du jour, exit les souvenirs et les regrets aussi. Puis elle fiche ses yeux droit dans les miens: « Remettons les choses à plat. Je ne suis qu’une trentenaire qui a deux gosses, un bon boulot et, comme tout le monde, un frigo à remplir pour la semaine. Et pour le reste, une fille qui, depuis quelques mois, grâce à un autre homme, rit vraiment, s’entend rire et entend les rires des autres. Jusqu’à mes narines qui recommencent à capter les odeurs! Parce que, rendez-vous compte, du temps de Benjamin, j’avais oublié jusqu’à çà! Ce n’est pas que je renie la visibilité médiatique, elle fait partie du boulot que j’ai choisi et que j’aime. Mais je refuse de ne pas vivre! Et justement, depuis huit mois, avec Pierre, je vis, je vibre ! Grâce à une chose que je n’ai jamais connue : l’égalité dans l’amour. Je suis à côté de Pierre et avec lui. Il est à côté de moi et avec moi. Ses raisons de vivre sont les miennes, et les miennes sont les siennes. Et si j’ai envie d’aller au bout de mon expérience au théâtre, c’est forcément lié au regard qu’il porte sur moi. »
Je lui réclame alors un mot pour définir cet amour-là, qui lui expédie, dès qu’elle en parle, tant d’étincelles joyeuses au fond des yeux. Mais cette fois-ci, pas de réplique du tac au tac. Elle se contente de laper avec une gourmandise gamine le doigt de vin blanc qui s’attarde encore dans son verre puis, déconcertante jusqu’au bout, lâche le mot le plus surprenant qui soit: « De la réjouissance… »

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