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Ratatouille , Paris ouvre l'appétit de Hollywood
Le 07 juillet 2007
Soulagement pour tous les Français qui, à leur arrivée aux USA, ont vécu ce mini-drame: des douaniers confisquant, telles des armes de destruction massive, le camembert délicieusement affiné et le foie gras maison découverts dans la valise du voyageur gourmand qui les avait emportés aux seules fins d’adoucir la barbarie culinaire américaine… Si d’aventure, ensuite, il a encore le cœur de pousser la porte d’un grand restaurant — l’espèce fleurit aussi outre-Atlantique —ce sera pour subir l’humiliation suprême : du Château Latour ou du Pouilly-Fuissé, vous voulez rire ? Depuis les déclarations de Robert Parker, gourou mondial de la Dive Bouteille, en matière de grands vins, il n’est de bon bec que californien. Et voilà qu’en ce mois d’août, divine surprise ! le vent — ou plutôt la sauce — tourne soudain: les studios Pixar, filiale de Disney, nous servent une succulente « Ratatouille » encore toute chaude de son succès américain et son objet, c’est à ne pas croire ! consiste à chanter la grandeur et les délices de la cuisine hexagonale…Pendant les quinze premières minutes du film, on croit à un gag. On se frotte les yeux, on se dit que d’un instant à l’autre, le beurre blanc va se transformer en ketchup, le ris de veau sauce morilles en Kentucky fried chicken, et que le héros du film, Rémy, rat de son état et Normand pur calendos, va retrouver tôt ou tard propulsé dans un saloon de l’Arizona, pour la plus grande gloire du hot-dog, du Coca-Cola et du T-bone steak réunis. Mais non ! D’un coup de sa légendaire baguette magique, Disney nous a changé tout çà, et ouf ! nous voici blanchis, lavés, réhabilités, détraumatisés…Oui, nous sommes toujours les champions du monde de la créativité culinaire, à l’image de l’autre héros du film, le chef parisien Gusteau, inspirateur, depuis l’au-delà, de Rémy le rat-gourmet. Mix de Bocuse, pour l’enveloppement lipidique, et de feu Meneau pour le tragique destin, Gusteau a été assassiné par l’article d’un critique pisse-vinaigre fort opportunément nommé Ego. L’affreux va exercer son impitoyable vindicte sur le pauvre marmiton Linguini, ado monté en graine, aussi paumé qu’empoté, voire carrément crétin. Il a des excuses : c’est le fils illégitime de Gusteau : on constate au passage que, même en Amérique, le politiquement correct à l’usage des chères têtes blondes n’est plus ce qu’il était. Mais les scénaristes qui ont mitonné cette Ratatouille l’auraient rendue immangeable s’ils n’avaient réussi à nous faire avaler l’omniprésence d’un rongeur entre les fourneaux d’un restaurant trois étoiles. Pari d’autant plus risqué que le rat-gourmet est censé émerger d’un canyoning prolongé dans les égoûts de Paris. Les enfants, adeptes traditionnels du crado-dégoûtant, s’en tapent comme de l’an 40, mais pas les parents. Et là encore, miracle : au bout de quelques minutes, la ménagère de base, prête à appeler le SAMU à la seule vue d’un cafard, n’a qu’une envie : serrer contre son sein l’imprudent rongeur, voire le protéger de l’inévitable descente des services d’hygiène, tant il est propret et délicieux, à l’image des mousses, crèmes, sabayons, et autres consommés qu’il ne cesse de concocter. On finirait par rêver de l’embaucher pour manier nos queues de poêle, si on ne se laissait distraire par la romance qui naît ( là, tout de même, on s’y attendait) — entre ce zozo de Linguini et l’ambitieuse Colette, qui, telle notre Hélène Darroze nationale, s’est imposée dans le monde ultra-macho des cuistots. Aussi pugnace qu’une héroïne de manga, Colette fait fondre Linguini, et nous avec, sur fond d’un Paris de rêve, qui évoque les films de Gene Kelly, Audrey Hepburn ou BB débutante. Exquis menu d’images qui, en plus des gamins, ravira les papies-mamies pour qui la sortie dessin animé avec les petits-enfants est une corvée encore plus suante que de faire baisser son taux de cholestérol sur son vélo d’appartement. Bien au contraire, cette Ratatouille est une invite à courir le refaire grimper dans nos meilleurs restaurants.A condition qu’à cause des Américains, ils n’affichent soudain complet!

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