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Patrick Bruel L'année émotion, un entretien-vérité
Le 15 novembre 2007
Un million et demi d’entrée pour « Le secret » et ce n’est pas fini… Une tournée triomphale avant la sortie du live, on ne doit pas arrêter de vous demander quel est la recette qui vous permet de voler de triomphe en triomphe…
Mon mode de vie et de fonctionnement me conduisent à mettre en avant mes réussites davantage que mes échecs. Pourtant, il y a des choses que je rate et qu’on ne voit pas. S’il faut à tout prix trouver une explication à mes succès, je l’attribuerai en priorité au fait que j’ai gardé intacte ma capacité d’émerveillement, de curiosité et de plaisir. Et le fait d’aimer partager. J’ai aussi la grande chance que mes goûts correspondent souvent à ceux d’un large public. Comme le disait Brel, 80% du talent, c’est l’envie, le reste c’est de la sueur… Et je ne perds jamais de vue que l’exercice de ce métier est un privilège.
Donc pas du tout blasé, quand le public se retrouve une fois de plus au rendez-vous ?
Partager avec presque deux millions de personnes une histoire aussi profonde que celle de Philippe Grimbert, c’est un immense bonheur. Le succès de ce dernier film me touche encore plus que les autres. J’avais quelque chose à régler avec le cinéma, c’est désormais chose faite.
D’où venait votre frustration ? Vous ne vous sentiez pas considéré comme un acteur à part entière, mais comme un chanteur qui fait l’acteur ?
Pas du tout ! J’ai toujours été plutôt bien traité par la critique. Que ce soit au théâtre comme au cinéma ; je dirai que, pour certaines chapelles, je n’étais jamais du bon côté…
Comment faites-vous pour concilier le métier d’acteur avec l’autre, celui de chanteur ?
Je jongle avec leur complémentarité. Je pratique l’un et l’autre en alternance. Mais toujours à fond. Et parfois en séquences très rapprochées. Il m’est arrivé de terminer une tournée un vendredi et de me retrouver sur un plateau de cinéma le lundi matin…sans que ça ne pose aucun problème ; j’ai une forte capacité de concentration
Cela suppose un énorme réservoir d’énergie et une santé hors du commun !
Surtout beaucoup de sommeil. Au moins 6 ou 7 heures par nuit.
Du sport ?
Vélo, jogging, rameur…
Et où casez-vous le poker, dans tout çà ?
Le poker occupe une vraie place dans ma vie. Mais c’est très maîtrisé. Il ne peut en aucun cas être mis sur le même plan que mon travail d’acteur et de chanteur.
Comment le vit votre femme ?
Ca n’a jamais été une source de conflits entre Amanda et moi ; elle ne m’a jamais fait l’ombre d’une réflexion à ce propos.. En revanche, au moment où je joue au poker, c’est comme le reste, le sport notamment, je m’investis à fond. Et quand je mange du chocolat aussi, je finis la tablette !..
Pourquoi cette farouche volonté de tout gagner ?
La psychanalyse répondra.
Repondrait ou répondra ?
Répondra… Mais un artiste est en introspection permanente. Je cherchais déjà dans le texte de la première chanson de mon premier album, ‘‘ De face’’ : « Courir dans tous les sens/ Pour guérir une absence… »
Celle du père?
Sûrement… mais j’espère que ça va plus loin que cet éternel cliché. Et puis je serais vraisemblablement très différent et mon parcours également si je n’avais pas grandi seul avec ma mère dans un grand espace de liberté..

C’est aussi un psychanalyste qui est l’auteur d’un secret dont est tiré le film de Claude Miller ; Le succès vous a t il surpris ?

Personne ne s’attendait à un tel engouement. Comme 500 000 lecteurs j’avais été bouleversé par le roman de Philippe Grimbert. Seulement il n’était pas évident de l’adapter à l’écran, pas de dialogues et une émotion entièrement fondée sur le ressenti de la mémoire et de la douleur intérieure. Mais le scénario faisait ressortir l’humanité et l’universalité de cette grande histoire d’amour déchirée.
Ce n’est pas étonnant que le public soit ému qu’on lui parle de la seconde guerre mondiale dans ses ambiguïtés et son quotidien autrement qu’à travers des schémas manichéens. Ils se sent concerné par tous les aspects du film : le secret, la jalousie, la passion amoureuse, le désir incontrôlable. A la sortie, il se demande « doit-on tout dire à ses enfants ? »,« est-ce que vraiment rien n’est interdit quand il s’agit de sauver sa vie ? »

Dans le film, Maxime refuse le port de l’étoile jaune pour son fils comme pour lui, vous l’approuvez ?
J’ai voulu être Maxime parce que j’ai eu envie de le défendre avec ses failles et ses ambiguïtés. Qu’aurais-je fait à sa place moi qui affiche et revendique ma judaïté ? Je n’ai pas été élevé dans la religion mais dans le respect des grandes traditions et fêtes juives. Mais si je me retrouvais dans des circonstances qui mettent en péril la vie de mes enfants je penserais probablement : «Si être juif ça veut dire souffrir et mourir,je ne suis pas juif !». Et, comme le fait Maxime, je prendrais mon destin en main.




Quand avez-vous senti que le pari était gagné ?

Quand j’ai vu le film et qu’il ne m’appartenait plus. Que je ne me voyais pas sur l’écran, ni Ludivine, ni Cécile, ni Julie, mais qu’on me racontait une histoire, que j’ai prise en pleine figure comme un spectateur.
Et puis, lors des avant-premières, ce silence, ces gens en larmes et ce quart d’heure d’applaudissements, venaient saluer le travail de Claude Miller - lui-même un peu dépassé par ce que le film inspirait au public.

Etre dépassé par ce qu’on crée, ce qu’on représente c’est une chose que vous avez connue chaque soir de cette tournée. On avait parlé d’un phénomène de société à l’époque avec la « Bruelmania », il semblerait que rien n’ait changé ?

La réponse était dans la salle tous les soirs, c’était inouï, cette ferveur, cette communion, cet échange intact avec ce petit quelque chose d’émotion et d’humour en plus… La distance de ces années qui passent et qui n’altèrent pas cette relation unique avec le public. Je suis heureux qu’il y ait cette trace sur un DVD pour que mes petits enfants ne me prennent jamais pour un mythomane

Vous êtes un homme de gauche, pourtant on ne vous a pas vu vous engager auprès de Segoléne Royal…
Mon silence était évocateur. Je ne voulais pas être esclave de mon atavisme de gauche. . je ne me retrouvais pas dans cette gauche là. Je ne pensais pas malgré le respect que j’ai pour elle que Ségolène Royal était la bonne candidate.

Que pensez-vous de l’action de Nicolas Sarkozy ?

Tout le monde a intérêt à le voir réussir .C’est quelqu’un qui fait tout pour gagner le pari qu’il a fait avec les français. En tous cas il s’en donne les moyens par un travail acharné et une présence sur le terrain qui ne me semble pas être sujet à autant de polémiques, bien au contraire. De toutes façons, s’il était trop absent, on le lui reprocherait de la même manière. On peut ne pas être d’accord sur tout sans pour autant entrer dans un systématisme de dénigrement. De toutes façons il sera jugé sur un bilan, laissons-lui le temps de travailler .
Vous parlez de ferveur, d’engouement, c’est une imagerie qui ressemble à celle des grands discours politiques. Avez-vous déjà pensé à vous engager ?

J’ai toujours été passionné par la politique. S’engager n’est pas un simple acte médiatique ou militant c’est participer à l’amélioration de la vie collective. Bien sûr, mon statut m’aide à défendre des causes et à prendre des positions. En tant que membre de la société civile je ne m’en suis jamais privé…De là à entrer en politique, je ne crois pas, c’est beaucoup trop de travail (rires).


Redoutez-vous la rançon de la gloire ?
C’est une vision très judéo chrétienne qui voudrait qu’on culpabilise de la réussite ; Mais rien n’est arrivé simplement ; Je fais un métier de passion, certes mais je travaille plus que quiconque et rien n’est jamais acquis.

Si j’ai parlé de rançon de la gloire, c’est que, d’après les rumeurs, cette année de tous les succès serait aussi pour vous l’année d’un échec privé. On vous dit séparé de votre femme…
Une certaine presse s’est arrogé le droit de l’annoncer. On ne nous donne pas le temps, comme à tout couple, d’affronter nos difficultés dans la discrétion et la sérénité. Mais nous sommes déterminés, Amanda et moi, à préserver notre intimité et celle de nos enfants par-dessus tout.
Mais encore ?
Il y a entre nous du respect, de l’admiration et toujours de l’amour, peut-être juste sous une forme différente. De toutes façons, on ne se sépare jamais totalement de la mère de ses enfants.

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