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PORTRAIT DE LAETITIA CASTA
Le 30 janvier 2011
Portrait de Laetitia CASTA ( réalisé en mai 2009 )

Dans l’obscurité du bar, blanche apparition. Si la pénombre s’anime, ce n’est pas seulement à cause de la tunique immaculée de Laetitia Casta. C’est son visage à l’instant où il a rencontré la lumière des lampes. Peau nacrée, translucide, vierge de tout maquillage. Autour d’elle, comme un nimbe de candeur. Il fait oublier la blondeur un peu accusée de la chevelure décolorée façon Bardot grande époque — elle vient d’incarner BB dans le film que le réalisateur Joann Sfar vient de consacrer à Gainsbourg. Mais en dépit des défis de plus en plus risqués qu’elle s’impose face aux caméras – elle vient aussi de jouer une névrosée dans un film taïwanais en compétition à Cannes — l’ex-top model reste plus proche de l’Ondine de Giraudoux que de la bombe sexuelle qui inspira à Gainsbourg son torride « Je t’aime, moi non plus ».


Sa petite moue certes, évoque les façons boudeuses de BB, et son nez est presque identiquement busqué. Mais la ressemblance s’arrête là. Yeux bleu-vert d’une limpidité parfaite. Et dans sa baby-face presque inchangée, tout continue de parler de fraîcheur et d’innocence. Deux enfants pourtant et un troisième pour bientôt, à 31 à peine sonnés: c’est son anniversaire demain. Elle s’en fiche éperdument : « Je me dis toujours que je vais faire une grande fête, et finalement je ne fais rien ! A trop organiser les choses, elles deviennent tristes. Et puis de toute façon, le temps bonifie ! »

Le mot semble renvoyer à son ventre rond, à cette naissance dont on devine qu’elle aura lieu à la fin de l’été mais dont elle refuse de livrer la date exacte : « Ce serait comme voler sa vie à mon enfant ! » Auto-protection systématique. Un réflexe depuis que sa spectaculaire beauté l’a imposée à la « une » des magazines. Pour autant, pas une once d’agressivité. Rien qu’un sourire flottant dans le demi-jour, ce qui accentue encore encore l’impression de blanche irréalité qu’elle diffuse. L’image s’impose alors, mécanique et facile : une madone.


Je n’ai pas le temps d’arrondir la première syllabe du mot. Sourcil soudain froncé, et comme avertie par un extraordinaire sixième sens, Laetitia Casta pulvérise le cliché: « Ca ne voit pas, mais je suis une passionnée ! Une émotive, une instinctive! Tout sauf sereine ! » Cà lui tient tellement à cœur qu’elle rougit — elle en paraît deux fois plus irrésistible…

Je hasarde : « Passionnée, ou hypersensible ? » Toujours à fleur de peau, et délicieusement rose, elle approuve : « Les deux me vont…Mais n’allez pas croire, j’ai fait des progrès ! Il y a quelques années, un seul mot chez un interlocuteur, et je déchaînais une colère cyclonique ! J’étais exagérément entière, en amour, en amitié, en tout ! Une vraie douleur..»


Son visage est si lisse, on peine à imaginer Laetitia Casta ravagée de tourments, dévastée par le chagrins… Mais déjà elle révise à la baisse : « J’ai souffert des mêmes choses que tout le monde ! Et comme tout le monde aussi, à certaines époques, je me suis noyée…Mais çà m’a permis de rencontrer d’autres humains extraordinaires parce qu’ils étaient eux-mêmes noyés… »

Au fond de son regard, un éclat neuf : celui de l’auto-dérision. Et à mesure qu’elle se confie, le rose s’accroche à ses joues, gagne ses pommettes un peu altières. C’est fou ce que çà lui va bien. Surtout quand elle rit: « J’ai mis beaucoup d’eau dans mon vin ! » Et lorsque je me risque à lui demander par quelle méthode, elle rétorque, toujours aussi franche du collier : « La psychanalyse. C’est incroyable ce que çà m’a appris. Développé ma curiosité. En me cherchant, j’ai découvert les autres. » Puis, à mots précis et légèrement flûtés, elle explique qu’à mesure qu’elle s’y est découvert un immense appétit de savoir — notamment pour les sciences humaines — en même temps qu’elle y a conjuré ses « noyades », son adolescence volée par le mannequinat, les effets dévastateurs de sa fulgurante ascension sur ses relations familiales, son regret de n’avoir pas fait d’études.

La rencontre avec son mari, l’acteur italien Stefano Accorsi, et la naissance deux enfants, sa fille Sahteene, sept ans et demi, son fils Orlando, deux ans et demi, y sont peut-être aussi pour quelque chose, non ? La belle m’oppose une petite moue rebelle; et ce port de tête souverain qui à lui seul dit « Non ». Mais loin de se fermer, elle s’explique. Généreusement, comme pour le reste: « Une femme peut très bien ne pas avoir eu d’enfant et diffuser de la douceur, de l’ouverture. La maternité, pour moi,c’est bien plus : aller à la rencontre de soi et de cet autre à qui on donne la vie. Puis faire un chemin ensemble. Un itinéraire d’autant plus palpitant que tous les enfants sont différents !»
Ses mains s’animent. C’est sûr, il y a en elle un profond refus des clichés et des conventions, et la question la titille — elle devient intarissable : « Le nombre de choses qui m’agacent quand on parle de maternité ! Le mot « tomber enceinte »! Ou l’idée stupide selon laquelle la grossesse serait nécessairement un moment d’épanouissement… Ou encore ces gens qui, me voyant enceinte pour la troisième fois, me lancent : « Tu as bien du courage ! »

Au lieu, comme on l’attendrait, de se refermer sur son ventre comme le font tant de futures mères, ses mains se mettent à voler, à suivre le cours de ses phrases passionnées: « Evidemment, trois grossesses, çà ralentit une carrière. Et ce troisième enfant, je commençais tout juste à y penser.Mais la nature a été plus vite que ma pensée ! J’ai toujours eu envie d’une grande famille…Des gamins, oui, bien sûr, c’est du bruit, du bazar, de l’imprévu, mais tout çà me plaît ! Et mes enfants me font grandir ! Quant à la grossesse, c’est tout simplement un état où je me consacre entièrement à ma vie. A la vie. Alors vous comprenez, la phrase « Vous n’avez jamais été aussi belle qu’enceinte. » je ne la supporte pas. Je suis dans autre chose. D’autant que ma définition de la beauté n’a rien à voir avec l’état, l’âge ou le reste. »


Je saute sur l’occasion: pour une fois que je discute avec une fille authentiquement belle, si j’en profitais savoir ce que çà fait, au juste, d’avoir reçu à la naissance ce fabuleux cadeau des fées?

Là encore, Laetitia Casta se livre sans chichis. : « Ce sont les autres qui décident de ce qu’est la beauté. Vous, au départ, vous sentez seulement que vous êtes différent. Au sein d’une famille, quand quelqu’un est plus beau que les autres, il est considéré comme un Ovni. On ne le regarde pas normalement. Dans ma tête de petite fille, çà a déclenché des émotions d’une très grande violence. Je me suis sentie objet. Et mon but, très tôt, a été de me constituer comme sujet. Je voulais devenir un être fort et libre. Echapper à ce quelque chose qui faussait tout. En tant que sujet, désormais, je ressemble à n’importe quelle femme : je me sens belle dans le regard d’un homme. Il n’y a pas de beauté sans la confiance et le respect de celui qui vous regarde. Donc ma définition de la beauté, ce n’est pas de correspondre aux canons de la beauté. Je la définis comme la poésie d’une présence. Et çà, çà n’a rien à voir avec l’âge. J’ai mis du temps à en arriver là. Top-model, j’ai dû admettre que je n’avais aucune prise sur le regard et les fantasmes des autres. Je n’ai jamais dit à mes parents: « Merci de m’avoir faite si jolie » mais je n’ai jamais pleurniché non plus : « Comme je suis malheureuse parce que je suis jolie... » Les ravages que ma carrière a pu occasionner sur mes proches, je ne m’en suis jamais sentie responsable. Ni victime, ni coupable. Toute petite, j’ai su qu’on était seul, qu’on mourait seul et que je ne devais pas attendre des choses démesurées des autres. Et paradoxalement, dès l’âge de douze ans, je savais aussi que je vivrais des choses exceptionnelles. J’en rêvais, je l'ai même noté sur un de mes cahiers. Mon désir s’est réalisé. Il y avait sans doute quelque chose d’écrit. Je crois au destin»

Et c’est seulement quand elle prononce les mots « écrit » et « destin » que passe sur ses traits la fatigue de la grossesse. Comme s’ils contenaient quelque chose d’infiniment plus lourd que l’enfant qui arrondit son ventre. Alors Laetitia Casta préfère s’en aller comme elle était venue : sans rien en elle qui pèse ou qui pose. Bien davantage que belle. Poétique. Vraie.


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